Prix LITRA 2024 : l’utilisation des TP est aussi une question d’habitude
L’amélioration des horaires des liaisons ferroviaires internationales permettrait de réduire les temps de trajet d’un cinquième ou plus, et ce sans investissements coûteux dans de nouvelles lignes. C’est la principale conclusion d’un travail de bachelor de l’École polytechnique fédérale (EPF) de Zurich. L’étude a été récompensée par le Prix LITRA de cette année.
Par Benedikt Vogel, auteur indépendant
Pour Matthias García, c’était à la fois un plaisir et un voyage de formation : durant l’été 2024, ce jeune Suisse de 22 ans a quitté son pays natal pour se rendre en Chine en passant par la Turquie, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan, puis au Japon en passant par la Thaïlande et le Vietnam. Il a effectué la plus grande partie du trajet en train, en bus et en ferry.
Lorsqu’il s’arrêtait dans une métropole, il s’offrait le plaisir de flâner pendant des heures dans la ville en métro. Le voyage a duré quatre mois, et l’étudiant curieux a parcouru 80 000 kilomètres. Il y a appris à connaître plus de moyens de transport que d’autres le feront dans toute leur vie.
Une alternative au transport aérien
Avant son grand voyage en TP, Matthias García avait terminé son travail de bachelor à l’EPF de Zurich. Il y traitait des liaisons ferroviaires internationales en Europe en réfléchissants au moyens qui permettraient à la voie ferrée de devenir une alternative écologique aux vols court et moyen-courriers. Si ce n’est qu’en partie le cas aujourd’hui, c’est aussi en raison des insuffisances au niveau des horaires.
Il n’est pas rare que des ruptures de liaison entraînent des temps d’attente exténuants dans les gares de correspondance. Le chercheur prend l’exemple de la liaison Berlin-Tallinn pour illustrer à quel point cela peut être grave : le voyage en train dure aujourd’hui près de 52 heures, dont 19 heures de temps d'attente au total à Varsovie, Kaunas et Riga. Ceux qui voyagent dans l’autre sens y passent même 73 heures, dont 41 heures d’attente.
On le sait depuis longtemps que le train devra être plus rapide, notamment sur les longues distances. En règle générale, on en appelle aux nouvelles lignes planifiées sur le continent, dont certaines sont déjà en cours de réalisation. Matthias García voit une utilité dans ces projets d’infrastructure coûteux, mais il souhaite soutenir leur efficacité en optimisant les horaires internationaux. De meilleurs horaires présentent en effet un potentiel d’amélioration considérable.
Ces derniers permettraient de réduire les temps de trajet de plus d’un cinquième (21 %) en moyenne, comme l’a calculé Matthias García dans son travail de bachelor. Les optimisations d’horaires permettent ainsi de gagner en moyenne autant de temps que planifié moyennant la construction de tous les nouveaux sillons prévus d’ici 2050 (22 % de gain de temps). L’étude a été réalisée dans le cadre de la filière « Ingénierie spatiale » de la chaire du professeur Francesco Corman (Institut de planification du trafic et des systèmes de transport, IVT).
Dix corridors ferroviaires en vue
L’étudiant de l’ETH a d’abord constitué un vaste pool de données comme base pour son travail de bachelor : il a déterminé 30 000 gares entre le Cap Nord et la Sicile et a recherché dans les horaires existants les liaisons les plus rapides entre ces points d’arrêt. Un outil de calcul spécial (algorithme de Dijksta) lui a permis de calculer la longueur du trajet et le temps de voyage le plus rapide pour toute liaison ferroviaire.
Le travail s’est concentré sur dix corridors ferroviaires transeuropéens. Ils s’orientent sur les principaux corridors du Réseau de transport transeuropéen (RTE-T), que la Commission européenne a défini il y a des années. Sur chaque tronçon de ces dix corridors ferroviaires, le scientifique a calculé le temps de trajet pour trois scénarios : Premièrement, pour la situation avec les horaires actuellement en vigueur. Deuxièmement, pour l’année 2050, lorsque seront réalisées les 80 nouvelles lignes actuellement en phase de planification sur les dix corridors. Et troisièmement, pour le cas où les corridors seraient exploités sur les lignes actuelles, mais avec des horaires parfaitement harmonisés au niveau international.
Des horaires d’importance variable
Il est ressorti de cette comparaison que l’optimisation de l’horaire permettait en moyenne de gagner à peu près autant de temps que les mesures d’infrastructure. Il existe toutefois des différences considérables entre les dix corridors ferroviaires. Ainsi, pour le corridor 4 reliant Cadix, au sud de l’Espagne, à Tchop, en Ukraine, l’optimisation de l’horaire (25 % de gain de temps) est nettement plus avantageuse que l’aménagement de l’infrastructure (11 % de gain de temps).
C'est le cas, parce que cette liaison présente actuellement un horaire excessivement inefficace. De plus, peu de projets de trains à grande vitesse sont prévus le long du corridor. Les optimisations d’horaires sont également particulièrement efficaces sur le corridor 7 (d’Amsterdam à Vintimille en Italie via la vallée du Rhône) et le corridor 6 (de Groningen/Pays-Bas à Thurso/Ecosse).
En revanche, certains corridors ferroviaires profitent davantage des nouvelles lignes que des optimisations d’horaires. C’est particulièrement vrai pour les corridors 9 (Paris-Lisbonne), 3 (Paris-Istanbul) et 5 (Luleå/Nord de la Suède vers Ostende/Belgique). Sur le trajet entre la capitale française et la capitale portugaise, le temps de trajet peut être réduit de plus de moitié grâce aux nouvelles voies ferrées prévues.
Ce gain de temps conséquent s’explique par le fait que les trains circuleront à grande vitesse et pratiquement sans arrêt intermédiaire sur la nouvelle ligne. À titre de comparaison, une optimisation de l’horaire sur les voies actuelles réduirait le temps de trajet de 28 %.
L’auteur du travail de bachelor présente en détail les gains de temps de l’optimisation de l’horaire et des nouvelles lignes. Et ce, non seulement pour l’ensemble des dix corridors, mais aussi pour les différents tronçons. Il fournit ainsi des points de repère sur les nœuds où des optimisations d’horaires permettraient des améliorations rapides et faciles à réaliser. C’est d’autant plus important que les problèmes ponctuels se propagent souvent sur l’ensemble du réseau et affectent ainsi de nombreuses liaisons.
L’OFT souhaite également des améliorations
L’Office fédéral des transports (OFT) sait lui aussi que les liaisons ferroviaires internationales laissent aujourd’hui encore à désirer. L’autorité spécialisée considère des horaires transfrontaliers optimisés comme une mesure parmi un ensemble d’améliorations nécessaires, comme l’explique le porte-parole de l’OFT Michael Müller : « En premier lieu, les infrastructures nécessaires doivent être mises à disposition.
Ensuite, les systèmes de contrôle des trains et de lignes doivent être compatibles au-delà de toutes les frontières. La ponctualité et la fiabilité doivent être garanties. Ensuite, il faudra des prix de billets correspondants ainsi que des systèmes et des règles permettant de réserver de tels billets internationaux au moins aussi facilement que dans le trafic aérien aujourd’hui. Et pour finir, il est important que les liaisons soient régulières, fréquentes, rapides et directes ».
L’OFT s’exprime avec réserve sur la demande de Matthias García d’accorder la priorité au transport de voyageurs sur les corridors transeuropéens intersectoriels lors de la planification des horaires nationaux. L’OFT souhaite maintenir l’accent national lors de l’élaboration de l’horaire, « afin de prendre en compte les intérêts nationaux de l’Europe et de la demande générée en premier lieu à l’intérieur du pays », explique l’OFT.
Quatre heures de voyage comme objectif
Avec son travail de bachelor, Matthias García montre l’importance de bons horaires dans le trafic ferroviaire international. Outre la construction de nouvelles lignes, ils peuvent contribuer de manière importante à réduire la durée des voyages en train à travers l’Europe. « Des villes importantes comme Venise, Florence, Rome, Marseille, Montpellier, Lille, Londres, Bruxelles, Erfurt et bien d’autres vont probablement enregistrer à l’avenir une demande accrue de transport ferroviaire au détriment de la demande de transport automobile et aérien », écrit Matthias García en se basant sur une analyse de marché réalisée par PTV Group en 2019.
« La demande de voyages en train pourrait encore être améliorée si le temps de trajet actuel sur le rail pouvait être réduit de manière à se rapprocher de la fourchette traditionnellement attractive de quatre heures de voyage en train. »
Matthias García
Matthias García a grandi à Lima et à Londres avant de venir en Suisse à l’âge de huit ans. Au printemps 2024, il a obtenu un bachelor à l’EPF de Zurich dans la filière « Ingénierie spatiale ». Matthias García se réjouit de cette récompense, qu'est le Prix LITRA : « J’ai une grande passion pour les systèmes de transport et en particulier pour les liaisons de transport internationales ; la distinction de mon travail de fin d’études me montre que d’autres partagent cette passion avec moi. Entre-temps, j’ai été invité à un colloque afin de pouvoir présenter mes conclusions à des experts et d’en discuter avec eux. »
En automne 2024, le jeune scientifique de 22 ans a commencé un master en développement territorial et systèmes d’infrastructure à l’EPF.
Prix LITRA 2024 : entre entretien, voyages longue distance et comportement individuel
La LITRA décerne le très convoité Prix des TP depuis 2012 : cette année, trois excellents travaux de bachelor et de master de trois hautes écoles suisses ont été récompensés. L’entretien de l’infrastructure ferroviaire, l’optimisation des voyages en train en Europe et nos habitudes individuelles dans le choix du meilleur moyen de transport : le prix LITRA 2024 convainc par la grande diversité des thèmes proposés.