Retour à l'aperçu / 18.12.2024

Innovations radicales pour la mobilité de demain : Perspectives du Prof. Hermann sur le rôle des changements de comportement, de l’intermodalité et des technologies autonomes dans le transport régional

Monsieur Hermann, vous dirigez l’Institut de Mobilité à l’Université de Saint-Gall et vous recherchez ainsi que promouvez des innovations radicales pour une mobilité durable et moderne. Que comprenez-vous par innovation radicale ?

Il existe évidemment de nombreuses définitions de ce qu’est une innovation radicale. Pour moi, cela devient particulièrement intéressant lorsqu’une innovation conduit à un changement comportemental substantiel du côté des utilisateurs. Souvent, ce n’est pas la technologie qui constitue le principal obstacle à l’acceptation de nouveaux produits, mais nos propres habitudes. Cela est particulièrement évident dans le domaine de la mobilité. Par exemple, la diffusion de l’électromobilité ou même la question de la conduite autonome dépend largement de notre capacité à modifier, ne serait-ce qu’un peu, nos comportements.

Selon vous, quels sont les principaux leviers pour favoriser les innovations radicales dans les transports régionaux, notamment en ce qui concerne leur déploiement à grande échelle ?

Nous devons toujours penser à partir du marché et des utilisateurs. Comme mentionné précédemment, les innovations radicales échouent souvent parce que le changement comportemental nécessaire est trop important et que l’on ne fait pas preuve de suffisamment de patience pour permettre ces évolutions. Il s’agit de modifier quelque peu le comportement humain. Pour cela, il faut avant tout des démonstrations et des expériences concrètes.

Un exemple typique est la conduite autonome. Chaque personne a une opinion sur le fait de monter ou non dans un tel véhicule. Beaucoup la rejettent en raison de préoccupations. Mais lorsqu’on l’a expérimentée soi-même – j’ai déjà conduit des véhicules autonomes à plusieurs reprises, y compris sur des circuits – on se rend vite compte à quel point cela fonctionne bien. Cette expérience crée de la confiance et conduit souvent à reconsidérer son comportement en matière de mobilité.

Pour les innovations radicales, c’est exactement ce qui est crucial : des démonstrations et des expériences concrètes qui permettent d’accepter l’innovation comme faisant partie de son comportement quotidien.

Quel rôle joue la collaboration entre les universités et l’industrie dans le développement de solutions de mobilité durable ? Quels exemples ou modèles jugez-vous particulièrement efficaces ?

Cela dépend bien sûr du type d’université – plutôt technique ou en sciences sociales. À Saint-Gall, nous sommes bien entendu orientés exclusivement vers les sciences sociales. Nous ne développons pas de nouvelles technologies, mais nous aidons les entreprises à mieux comprendre le marché. Cela signifie, par exemple, organiser des ateliers avec des clients, concevoir des enquêtes ou élaborer des modèles commerciaux pour déterminer ce qui pourrait réellement fonctionner. Notre objectif est de concevoir des solutions de mobilité adaptées aux marchés. C’est notre contribution – des pièces d’un puzzle qui contribuent au tableau global. Cependant, nous ne réalisons absolument aucun développement technologique ici à Saint-Gall.

Quel soutien ou quelles initiatives attendez-vous de l’industrie ferroviaire suisse pour le développement et l’introduction de nouvelles solutions de mobilité ?

J’aimerais – et cela vaut également pour les constructeurs automobiles – que l’on ne perçoive pas toujours le monde uniquement à travers le prisme de son propre mode de transport. Le secteur ferroviaire fait exactement la même chose : il ne voit que le rail. Et les constructeurs automobiles ne voient que la route.

La solution à nos problèmes de mobilité réside cependant très souvent dans l’intermodalité, c’est-à-dire dans une intégration beaucoup plus forte des différents modes de transport. Je souhaiterais que tous ces acteurs partent du comportement de mobilité des individus et réfléchissent ensuite : D’accord, nous ne sommes qu’un élément de tout cela. Peut-être qu’il faut la voiture, peut-être la micromobilité – mais l’objectif est de proposer un système intégré qui réponde aux besoins des gens. Pas simplement du transport ferroviaire ou automobile, mais une solution intégrée et complète.

Quelle est votre vision pour le transport régional du futur, et quelles technologies ou concepts seront, selon vous, décisifs ?

J’espère sincèrement que nous dépasserons enfin ce morcellement. À San Francisco, 250 navettes autonomes sont déjà en service régulier.

En Suisse, nous devons également mettre en œuvre des solutions à plus grande échelle. Par exemple : 50 navettes autonomes dans une ville, intelligemment connectées à la gare et à la micromobilité. Le transport régional a, grâce à ces technologies, une énorme opportunité de se réinventer. Nous pourrions ainsi retirer ces longs bus diesel du trafic et les remplacer par de petites navettes électriques, flexibles, qui réagissent à la demande, peuvent être appelées via une application, et ne nécessitent ni horaire fixe ni itinéraire rigide.

Je suis convaincu que le transport régional a la possibilité de se réinventer complètement grâce à ces nouvelles technologies. C’est ce que je souhaite – mais à grande échelle, pas seulement avec une petite navette ici et là, comme nous le faisons depuis dix ans.

Le levier que nous pouvons actionner dans le secteur des transports se situe lorsque nous aurons 50, 60 ou 100 de ces navettes dans les villes, interconnectées et pouvant être appelées via une application. Cela permettrait alors de remplacer d’autres moyens de transport, plutôt que de proposer ces navettes comme des solutions isolées. Ces petits projets de navettes ne remplacent rien, ils ne servent qu’à des démonstrations. Je pense que nous sommes désormais dans une phase où nous devons véritablement intégrer ces technologies dans notre mobilité pour l’améliorer. Et de cette étape, nous sommes encore très loin en Suisse.

Oslo prévoit bientôt d’introduire 500 navettes dans la ville, avec l’objectif d’en déployer 30 000 d’ici 2030. Voilà un véritable engagement !

Merci beaucoup pour cet échange passionnant.

À propos d’Andreas Hermann

Andreas Hermann est professeur en gestion d’entreprise et codirige, avec Torsten Tomczak et Wolfgang Jenewein, l’Institut de Mobilité de l’Université de Saint-Gall (IMO-HSG). Il est également responsable du programme de formation continue en Smart Mobility Management. Depuis de nombreuses années, Andreas Hermann mène avec succès des projets de coopération avec des entreprises telles qu’Audi, Porsche, Roche, Sonova, et de nombreux autres partenaires.

Cet entretien a été publié dans l’édition de décembre 2024 du magazine « express » de Swissrail.

Vous pouvez lire l’édition complète ici.